Philosophe et théologien thomiste français. Issu, par ses origines familiales, du protestantisme libéral, il se convertit à la foi catholique, en 1906, sous l’influence marquante de Léon Bloy, en compagnie de son épouse d’origine juive Raïssa Oumançoff. D’abord, proche de l’Action française, sans en être membre, adepte des conceptions antimodernistes (Antimoderne, 1922), il évolue vers une vision humaniste et une conception démocratique de la vie civile (Humanisme intégral, 1936). Adhésion que radicalise sa lutte contre l’antisémitisme, son anti franquisme, son exil américain et son ralliement à la France Libre pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1945 et 1948, il occupera la charge d’ambassadeur de France au Vatican. Résident à Toulouse, chez Les Petits Frères de Foucauld, depuis 1961, il en devient membre en 1970, décédant à Toulouse le 28 avril 1973.
Au sein de l’œuvre océanique de Louis Massignon (1888-1962), deux catégories de textes font bande à part : ceux consacrés à ses maîtres (Goldziher, Huysmans, Foucauld, Hallaj, Gandhi ) et à ces amis. Citons Jean-Richard Bloch, Paul Claudel et Jacques Maritain.
De cette amitié singulière entre Maritain et Massignon, témoigne une ample correspondance (DDB, 2020) : 492 lettres et cartes réparties sur un demi-siècle (1913-1962), à la densité variable et à la régularité incertaine .
Les contrastes sont aussi puissants que fortes les affinités. A un Maritain au verbe fluide et cristallin, voué à un thomisme régénéré, usant d’une raison baignée par la grâce pour affronter la violence du monde, s’oppose le brasier d’épines d’un Massignon, disciple d’Hallaj martyr et du dernier Huysmans, lié au dolorisme victimaire du Calvaire, usant d’une langue incandescente, toute en saillies, pour dénoncer l’injustice et proclamer le sacrifice du Christ et la mission de Marie.
Leurs courbes de vie offrent également un contraste net : le père de famille Massignon s’écarte de l’homme au mariage blanc avec Raïssa et d’une communauté trine avec Véra Oumançoff, la question de l’homosexualité traversant leurs existences via expériences et amitiés . Au professeur du Collège de France et de l’École Pratique des Hautes Études, pierre d’angle de l’islamologie internationale, répond un philosophe, certes enseignant à l’Institut catholique de Paris et à Princeton, mais oeuvrant hors-institution. A un Maritain investi dans la lutte contre l’antisémitisme, un Massignon voué corps et âme au monde arabo-musulman, passant du sionisme à la cause palestinienne et anticoloniale.
Ces contrastes rendent leurs liens encore plus intenses : Massignon et Maritain sont deux « convertis de la Belle-époque », l’un dans la comparution violente de « La Visitation de l’Étranger » (1908), l’autre par le charisme d’un Léon Bloy (1906) en qui Massignon vit également une des voix majeures du XXe siècle.
Mais ce qui scelle sans doute au plus fort leur amitié est leur dévotion pour la Vierge de La Salette et un engagement d’une vie pour la voyante itinérante Mélanie Calvat. Une militance mariale qui prit la forme, de pèlerinages (héroïque pour Massignon en 1911), de manifestes et de plaidoyers, au moment de la Première Guerre mondiale mais surtout en 1946, date du centenaire, alors que se déclencha une polémique virulente autour de la question mélaniste, tant dans la revue Dieu vivant qu’au sein des publication salettines officielles.
Par-delà les engagements, communs ou différents, ce qui marque l’amitié entre Maritain et Massignon fut surtout un échange sincère et sans fard sur leur vie de foi, l’expérience mystique et le devoir de l’inscrire dans le quotidien de vies partagées. Maritain réfrénant la redoutable pente ascétique d’un Massignon jamais apaisé (« vous confondez un peu le mérite avec l’effort », 20 janvier 1914), Massignon tançant Maritain dans son rapport au monde et à une certaine société culturelle dissipatrice. Un engagement l’un envers l’autre qui donne à leur un demi-siècle d’échange une armature intérieure exceptionnelle.
F.A
Témoignages:
« Massignon était un homme d’une singulière grandeur et d’un extraordinaire génie. Tous ceux qui l’ont approché ont reçu de son esprit quelque étincelle vivifiante. Avoir été, pendant de longues années, un de ses plus intimes amis, est pour moi une grâce dont je remercie Dieu. La merveille était l’union, ou plutôt l’unité radicale en lui de la science la plus érudite, la plus approfondie et la plus chercheuse, avec une dévorante soif mystique de justice et d’absolu, et une foi admirablement droite et pure (11 mai 1968) ».
Jacques et Raïssa Maritain, Œuvres complètes, Volume XIII, pp. 1321-1322
« Je ne suis qu’une unité parmi le peuple d’amis placé par Dieu sur la route de Jacques, et pour qui, d’une manière si transparente et si pure, il a témoigné d’une amitié qui n’est pas d’ici-bas, d’une présence prévenante, d’un conseil si discret, si immatériellement intelligible, « comme descend en esprit la pensée » (…) Il faut au moins être deux, est-il dit, pour le témoignage de la vérité et pour l’exaucement de la prière ; (…) ».
Louis Massignon, « L’amitié et la présence mariale dans nos vies », Ecrits Mémorables I (1948), pp.375-376
Bibliographie :
Correspondance Louis Massignon – Jacques Maritain (1913-1962), présentée, établie et annotée par François Angelier, Michel Fourcade et René Mougel, Desclée de Brouwer, 2020
Louis Massignon, « L’amitié et la présence mariale dans nos vies » (1948) Ecrits Mémorables I, pp.374-376
Raïssa Maritain, Les grandes amitiés, Desclée de Brouwer, 1948, pp. 429-431
Archives :
La BNU ( Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg) conserve le fonds JACQUES ET RAISSA MARITAIN depuis 2014, dont la correspondance Maritain-Massignon.
https://www.bnu.fr/sites/default/files/media/2020-01/Fonds%20Maritain_BNU_Inventaire.pdf